COVID-19 et grossesse : état des connaissances

Jeanne Sibiude, Violaine Peyronnet, Laurent Mandelbrot, Olivier Picone.

Depuis décembre 2019, une pandémie liée à un nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) est responsable d’une crise sanitaire mondiale. Les conséquences de cette infection virale sur la grossesse sont encore mal connues mais ont donné lieu à de nombreuses publications très récentes et les connaissances évoluent rapidement. 

Le virus

Le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) est une nouvelle souche de coronavirus responsable de la maladie appelée COVID-19. Les coronavirus peuvent provoquer des infections des voies respiratoires, mais aussi atteindre le système gastro-intestinal et le système nerveux(1–3). Certains ont des présentations bénignes (HCoV 229E, NL63, OC43, HKU1), d’autres plus sévères sont plus connus comme le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) ou le syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV). Le SARS-CoV2 présente 79% d’identité nucléotidique en commun avec le SARS-CoV et environ 50% avec le MERS-CoV(4).

Epidémiologie

Cette nouvelle souche de virus a été identifiée pour la première fois dans la commune de Wuhan  dans la province de Hubei en Chine en décembre 2019. Le virus s’est ensuite particulièrement développé en Europe. L’Italie, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni ont été les pays d’Europe avec le plus grand nombre de cas. Puis le continent américain a également été fortement touché. Les Etats Unis et le Brésil sont à la date du 30 juin les pays présentant le plus grand nombre de cas (5). Depuis le 11 mars, l’OMS décrit la situation comme une pandémie. Le virus semble transmis essentiellement par les gouttelettes et la transmission manuportée. Une transmission par aérosol ou par les surfaces contaminées n’a cependant pas pu être exclue(6,7).

 Formes cliniques en population générale

Dans les situations où les tests PCR à la recherche du virus ont été réalisés de manière large, il semble qu’environ 80% des personnes présentent une forme bénigne (rhinite ou syndrome grippal léger ou modéré), 15 à 20% présentent des formes sévères (pneumonie ou syndrome de détresse respiratoire aiguë) et moins de 5% une forme de SDRA nécessitant une prise en charge réanimatoire(8). Les symptômes les plus courants ont été décrits d’abord par Huang et al.(9): fièvre, toux, fatigue, myalgies, expectorations et céphalées. L’anosmie et l’agueusie ont ensuite été décrits comme des symptômes plus spécifiques du SARS-CoV-2. La fréquence respective de ces symptômes est extrêmement variable selon les études (10). Le taux de létalité lui aussi est très difficile à estimer car il dépend étroitement de la politique de test dans les différents pays. Ainsi en France où la politique n’a pas été celle d’un dépistage large, au 30 juin, on comptait 29 778 décès pour 162 936 cas confirmés. Les facteurs de risque de formes sévères et de décès sont avant tout l’âge avancé, mais aussi plus généralement les co-morbidités comme le diabète, l’obésité, l’HTA chronique(11,12).

COVID-19 et grossesse

Au moment du début de l’épidémie sur le territoire français, au mois de mars, les seules données de littérature concernant la femme enceinte étaient de très petites séries chinoises de moins de 20 patientes. Celles-ci rapportaient des résultats étonnants, de très hauts taux de césarienne (77% à 100%) et de prématurité également très élevés (autour de 50% pour la plupart)(13,14). Depuis la survenue de l’épidémie en France, une série multicentrique, réalisée sur des données agrégées issues de 33 maternités a rapporté un nombre de 617 femmes enceintes avec un test positif pour le SARS-CoV-2(15). Parmi celles-ci, les symptômes décrits le plus fréquemment étaient la toux (62,2%), la fièvre (46,2%), l’anosmie (27,2%), une dyspnée (26,7%), ou une diarrhée (8,8%). La proportion d’asymptomatique n’est pas évaluable par cette étude, car la politique française était de tester uniquement les formes symptomatiques ou les cas contacts dans cette période d’étude (1er mars au 14 avril). Concernant la gravité de la maladie, 128 patientes (soit 20,7%) ont eu besoin d’assistance respiratoire, 29 patientes ont subi une ventilation mécanique (4,7%) et 6 patientes ont eu besoin d’oxygénation extra-coporelle (ECMO) soit 1% de l’ensemble des femmes. Dans cette population de femmes enceintes, les facteurs significativement associés au risque de nécessiter une assistance respiratoire étaient l’âge supérieur à 35 ans, l’indice de masse corporelle > 30 avant la grossesse, la présence d’un diabète pré-existant ou d’un antécédent de pré-éclampsie et un diagnostic d’HTA gravidique ou de pré-éclampsie pour la grossesse en cours. Ces facteurs de risque sont donc similaires à ceux trouvés en population générale. 

Les issues de grossesse n’étaient connues que pour 181 patientes, les autres n’ayant pas encore accouché au moment de la publication. Le taux de prématurité parmi les femmes ayant été infectée par le SARS-CoV-2 et ayant accouché pendant la période était de 27,6%. Parmi les 58 femmes ayant nécessité une assistance respiratoire et ayant accouché pendant la période d’étude, 41 (soit 70,7%) ont subi une césarienne pour cause de COVID-19.  Cependant la description de ces issues n’est qu’une estimation approximative qui devra être complétée par les issues des femmes ayant guéri du COVID-19 et poursuivi leur grossesse. 

Une série française monocentrique réalisée à Strasbourg à décrit les anomalies biologiques chez 54 femmes avec une suspicion de COVID-19 ou une infection confirmée (16). Dans 44% des cas une lymphopénie était observée, la CRP était élevée dans 41% des cas, et une cytolyse hépatique était rapportée dans 20% des cas, toutes anomalies classiques des infections virales. Les auteurs de cette série rapportent 3 cas de femmes ayant nécessité une césarienne avant 29 SA alors qu’elles étaient en détresse respiratoire sévère, l’indication de cette prématurité sévère induite étant la tentative d’améliorer l’état respiratoire maternel.  Enfin une autre série française multicentrique portant sur 100 femmes enceintes avec une infection certaine rapporte 5 cas de césariennes avant 32 SA pour cause de COVID chez des patientes hospitalisées en réanimation. Cette étude rapporte une association intéressante entre le degré de lymphopénie à l’entrée et la sévérité de la maladie par la suite (17).

Aucun traitement spécifique du COVID-19 n’a encore fait la preuve de son efficacité chez les femmes enceintes, qui étaient exclues des principaux essais thérapeutiques. Certaines ont reçu des traitements de manière compassionnelle. Un certain nombre de ces traitements ont des passages placentaires non négligeables(18). Cependant, l’essai RECOVERY ayant suggéré une efficacité de la dexaméthasone en cas de forme sévère en population générale (données encore non publiées(19)) peut au moins rassurer sur l’utilisation des corticoïdes à visée de maturation fœtale qui n’ont aucune raison d’être délétères et peuvent donc  être administrés quand une naissance avant 34 SA est envisagée. 

Risque fœtal et néonatal

Alors que l’épidémie a franchement reculé en Europe, les connaissances sur le risque fœtal et néonatal restent très limitées, bien moins avancées que celles sur le risque maternel. Deux enfants ont été testés positifs pour le SARS-CoV2 dans la série française multicentrique, sans que le moment de l’infection soit précisé, in utero, per-partum ou transmission horizontale post-partum par gouttelettes si la mère est encore contagieuse. Un cas de transmission materno-fœtale du SARS-CoV-2 a été publié au Pérou et un cas en France. Pour le premier il s’agissait d’une patiente ayant eu une césarienne pour détresse respiratoire majeure, l’enfant a été testé positif par PCR naso-pharyngée à 16h de vie malgré une séparation stricte de sa mère dès la naissance(20). Pour le cas français, dont les conditions de naissance étaient similaires, s’associait une positivité de la PCR du liquide de lavage broncho-alvéolaire, une virémie néonatale, ainsi que des signes d’infection et d’inflammation sur le placenta. La transmission in utero est donc certaine(21). Les autres cas décrits sont peu nombreux et la voie de transmission n’est pas certaine, ceci a été décrit dans une revue de littérature (22,23). Un risque de transmission in utero faible est cohérent avec l’expérience du MERS-CoV et du SARS-CoV pour lesquels il n’y avait pas eu de cas confirmés de transmission intra-utérine(24,25).

La transmission materno-fœtale in utero semble donc extrêmement rare, et au vu des données actuelles colligées dans les maternités françaises, le risque principal pour le nouveau-né semble dominé par le risque de prématurité induite ou spontanée dans les cas d’infection sévère chez la mère. 

Il n’existe encore aucune donnée sur le risque de foetopathie au coronavirus, qui serait donc liée à une transmission materno-fœtale puis une poursuite de la grossesse. La surveillance des enfants nés de mère testée positives au cours de la grossesse, ainsi que la poursuite d’étude virologique chez ces femmes et enfants est donc primordiale pour estimer ce risque. 

Juillet 2020

Jeanne Sibiude1,2,3, Violaine Peyronnet1,2, Laurent Mandelbrot1,2,3, Olivier Picone1,2,3.
1- Service de gynécologie-obstétrique, Hôpital Louis Mourier, AP-HP, Colombes, France
2- Université de Paris, Paris, France
3- IAME, INSERM, Paris, France

 1.  Zhu N, Zhang D, Wang W, Li X, Yang B, Song J, et al. A novel coronavirus from patients with pneumonia in China, 2019. N Engl J Med. 2020 Feb 20;382(8):727–33. 
2.  Hui DS. Epidemic and Emerging Coronaviruses (Severe Acute Respiratory Syndrome and Middle East Respiratory Syndrome). Vol. 38, Clinics in Chest Medicine. W.B. Saunders; 2017. p. 71–86. 
3.  Song Z, Xu Y, Bao L, Zhang L, Yu P, Qu Y, et al. From SARS to MERS, thrusting coronaviruses into the spotlight. Vol. 11, Viruses. MDPI AG; 2019. 
4.  Lu R, Zhao X, Li J, Niu P, Yang B, Wu H, et al. Genomic characterisation and epidemiology of 2019 novel coronavirus: implications for virus origins and receptor binding. Lancet. 2020 Feb 22;395(10224):565–74. 
5.  Medicine JHU and. COVID-19 Map – Johns Hopkins Coronavirus Resource Center. 2020. 
6.  Van Doremalen N, Bushmaker T, Morris DH, Holbrook MG, Gamble A, Williamson BN, et al. Aerosol and surface stability of SARS-CoV-2 as compared with SARS-CoV-1. Vol. 382, New England Journal of Medicine. Massachussetts Medical Society; 2020. p. 1564–7. 
7.  Asadi S, Bouvier N, Wexler AS, Ristenpart WD. The coronavirus pandemic and aerosols: Does COVID-19 transmit via expiratory particles? Vol. 54, Aerosol Science and Technology. Taylor and Francis Inc.; 2020. p. 635–8. 
8.  Institut Pasteur. Maladie COVID-19 Nouveau Coronavirus. 2020. 
9.  Huang C, Wang Y, Li X, Ren L, Zhao J, Hu Y, et al. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. Lancet. 2020 Feb 15;395(10223):497–506. 
10. Moriarty LF, Plucinski MM, Marston BJ, Kurbatova E V., Knust B, Murray EL, et al. Public health responses to covid-19 outbreaks on cruise ships – Worldwide, February-March 2020. Vol. 69, Morbidity and Mortality Weekly Report. Department of Health and Human Services; 2020. p. 347–52.
11.  Grasselli G, Zangrillo A, Zanella A, Antonelli M, Cabrini L, Castelli A, et al. Baseline Characteristics and Outcomes of 1591 Patients Infected with SARS-CoV-2 Admitted to ICUs of the Lombardy Region, Italy. JAMA – J Am Med Assoc. 2020 Apr 28;323(16):1574–81. 
12.  Simonnet A, Chetboun M, Poissy J, Raverdy V, Noulette J, Duhamel A, et al. High prevalence of obesity in severe acute respiratory syndrome coronavirus-2 (SARS-CoV-2) requiring invasive mechanical ventilation. Obesity. 2020 Jul 1;28(7). 
13. Liu Y, Chen H, Tang K, Guo Y. Clinical manifestations and outcome of SARS-CoV-2 infection during pregnancy. The Journal of infection. NLM (Medline); 2020. 
14. Chen H, Guo J, Wang C, Luo F, Yu X, Zhang W, et al. Clinical characteristics and intrauterine vertical transmission potential of COVID-19 infection in nine pregnant women: a retrospective review of medical records. Lancet. 2020 Mar 7;395(10226):809–15. 
15. Kayem G, Lecarpentier E, Deruelle P, Bretelle F, Schmitz T, Alessandrini V, et al. A snapshot of the Covid-19 pandemic among pregnant women in France. J Gynecol Obstet Hum Reprod. 2020; 
16. Sentilhes L, De Marcillac F, Jouffrieau C, Kuhn P, Thuet V, Hansmann Y, et al. COVID-19 in pregnancy was associated with maternal morbidity and preterm birth. Am J Obstet Gynecol. 2020 Jun; 
17. Vivanti A, Mattern J, Vauloup-Fellous C, Jani J, Rigonnot L, Hachem L El, et al. SARS-CoV-2 infection and pregnancy: Retrospective description of 100 pregnant women with SARS-CoV-2 infection. Emerg Infect Dis. 2020;in press. 
18. Louchet M, Sibiude J, Peytavin G, Picone O, Tréluyer J-M, Mandelbrot L. Placental transfer and safety in pregnancy of medications under investigation to treat COVID-19. AJOG MFM. 2020;in press. 
19.  RECOVERY TRIAL Study Group. Low-cost dexamethasone reduces death by up to one third in hospitalised patients with severe respiratory complications of COVID-19. 2020. 
20. Alzamora MC, Paredes T, Caceres D, Webb CM, Valdez LM, La Rosa M. Severe COVID-19 during Pregnancy and Possible Vertical Transmission. Am J Perinatol. 2020 Apr 18;37(8). 
21. Vivanti A, Vauloup-Fellous C, Prevot S, Zupan V. Transplacental transmission of SARS-CoV-2 infection. Nat Commun. 2020;in press. 
22. Zeng L, Xia S, Yuan W, Yan K, Xiao F, Shao J, et al. Neonatal Early-Onset Infection with SARS-CoV-2 in 33 Neonates Born to Mothers with COVID-19 in Wuhan, China. JAMA Pediatrics. American Medical Association; 2020. 
23. Egloff C, Vauloup-Fellous C, Picone O, Mandelbrot L, Roques P. Evidence and possible mechanisms of rare maternal-fetal transmission of SARS-CoV-2. Vol. 128, Journal of Clinical Virology. Elsevier B.V.; 2020. 
24. Ng PC, Leung C, Chiu WK, Wong SF, Hon EKL. SARS in newborns and children. In: Biology of the Neonate. Biol Neonate; 2004. p. 293–8. 
25. Alserehi H, Wali G, Alshukairi A, Alraddadi B. Impact of Middle East Respiratory Syndrome coronavirus (MERS-CoV) on pregnancy and perinatal outcome. BMC Infect Dis. 2016 Mar 2;16(1).